A-vide
Charly s’avance dans le noir. Iel cherche un mot. Le premier mot. Le mot qui sonnerait juste. Un mot à la hauteur d’un début. D’un bon début.
Rien.
Jérôme, guitare à la main, accompagne ses balbutiements.
Il joue. Iel danse.
Iel danse le vide. Et reprend sa recherche.
C’est qu’il faudra du temps pour nommer le vide, pour lui donner un corps, une voix, pour le rendre palpable, tangible. Charly virevolte sur la musique, danse, plonge ses mains dans le terreau des souvenirs, reprend la route et, petit à petit, dessine une mosaïque où le vide se déploie et offre au public un tout nouveau visage.
Avec Charly Simon et Jérôme Paque
Ecriture Aurélien Dony
Mise en scène Aurélien Dony
Assistanat Nathalie De Muijlder
Scénographie Alissia Maestracci et Baptiste Wattier
Musique Jérôme Paque
Régie Inès Degives
Une création de L'Absolu Théâtre
Avec le soutien du Centre Culturel de Dinant, du Centre des Arts Scéniques et du boson
Durée 50 minutes
23 24
12.04 · 20:00
Spectacle nommé aux prix Maeterlinck de la critique belge 2022 dans la catégorie « Découvertes »
Le Soir – Catherine Makereel
Ce pourrait être une chanson. Une de ces ritournelles tout en retenue, qui ne racontent pas de grandes histoires mais vous envoûtent par leur rythme et leur mystère. À-vide pourrait être une ballade, à la Bob Dylan, mais il se trouve que c’est du théâtre.
Ou plutôt un mélange entre le jeu, la danse et le concert. Une performance où les mots font corps avec la musique. Un moment suspendu, de 50 minutes, où l’on ne peut pas vraiment dire, à la fin, que l’on cerne tout à fait le feu follet qui vient de jaillir, en étincelles à la fois douces et éruptives, sur la scène du Boson, à Ixelles, même si l’on a fait de poétiques percées dans les questionnements aussi erratiques qu’intimes de cette femme flamme.
La peur du noir
Tout commence par la peur du noir, avant que la lumière des projecteurs ne fasse naître les silhouettes sur le plateau, la peur du vide, la peur de ce premier mot, qu’il faut bien éructer pour démarrer le spectacle. Par quoi commencer ? Quel début choisir ? Quelle idée ? Quelle sonorité ? Perdue dans une logorrhée spasmodique, l’interprète trouve le bon fil en s’accrochant aux notes de son guitariste de compagnon, Jérôme Paque. La voilà donc lancée dans ce vide à remplir qui va la mener sur tous les vides qui façonnent son existence : la peur du vide, quand on est enfant, dans le noir ; le vide d’une absence après la disparition d’un être cher ; le vide d’une vie quand on naît dans un trou perdu du Hainaut ; la peur de disparaître dans le vide.
Ecrit et mis en scène par Aurélien Dony – jeune auteur et poète belge qui monte – la pièce procède par instantanés, ébullitions furtives et points de suspension. Tantôt dans une cuisine, à parler d’oiseaux, tantôt devant un arbre pour une expérience presque mystique, Charlotte Simon convoque des tableaux furtifs pour raconter, in fine, comment le vide a nourri sa danse. Tout en légèreté, ces envolées (forcément égocentrées) déploient surtout une langue ardente, une poésie charnelle, un évocation des petits riens qui font ce grand tout que nous sommes.
La Libre – Stéphanie Bocart
Sur le plateau du Boson, deux silhouettes. L'une, c'est Charlotte (Simon). L'autre, c'est Jérôme (Paque). Elle tient, serré contre sa poitrine, un jerrican. Lui, guitare à la main, allume un briquet. Leurs regards se cherchent, se croisent. Elle hésite, bredouille. Elle ne sait pas "par quoi commencer". Alors, elle danse. Timide, indécise. La guitare vibre. Ses mouvements sont nerveux, saccadés puis se délient peu à peu. Elle tente un "Bonsoir" à l'adresse du public. Elle sent "battre la peur dans son ventre". "Avoir la parole au théâtre, c'est terrible", avec "tout ce vide au plateau".
Sonder l’impalpable, labourer le néant du moi.
Fondé en 2019, L'Absolu Théâtre réunit quatre jeunes artistes : Aurélien Dony, poète, auteur, metteur en scène, comédien et chanteur ; Charlotte Simon, comédienne et danseuse ; Jérôme Paque, musicien ; et Nathalie De Muijlder, assistante à la mise en scène. Ensemble, ils œuvrent à "un théâtre d'un genre nouveau", où, définissent-ils, "le texte, dans sa puissance poétique, s'allie à la spontanéité du jeu, à la liberté et la singularité des interprètes, à l'élan qui nous pousse, nous autres jeunes créateurs, à rêver d'un espace ouvert aux explorations, aux errances, aux vertiges de toutes sortes".
Avec À-vide, écrit et mis en scène par Aurélien Dony, la petite équipe sonde l'impalpable – la peur –, plonge les mains dans le rien, laboure le néant du moi – "Qui suis-je ?", s'interroge Charlotte – tout en investissant l'espace physiquement, en comblant le vide : "C'est quelque chose, la danse, qui se nourrit du vide, confie-t-elle. J'ai découvert
que le vide peut se danser et que le vide, ce n'est pas que la peur". Et des peurs, pourtant, elle en a : peur du noir, peur de l'absence, peur de mourir. Puis, ce vide la suit depuis toujours : elle a grandi "au pays du vide" – Péruwelz dans le Hainaut –, là "où il n'y a rien qui pousse". Alors, ce vide, ces peurs au ventre la bouffent. "Peut-être que j'en crèverai un jour ?", se demande Charlotte.
D’ombre et de lumière
Performance raffinée et métaphysique, À-vide tire toute sa beauté et sa vivacité d'un savant alliage entre l'écriture poétique et nerveuse d'Aurélien Dony, le jeu introspectif et franc de Charlotte Simon mêlé à une impeccable maîtrise chorégraphique, et la partition mélodieuse de Jérôme Paque. Chaque mot, chaque geste, chaque note trouve, en outre, un écho pictural, car ils sont habillés d'ombre et de lumière, tel un jeu de cache-cache entre le vide et le plein magnifiquement scénographié par Alissia Maestracci et Baptiste Wattier.
Le tout et le rien, la présence et l’absence, la vacuité et la plénitude, la parole et le silence, le moi et le nous... sont symbolisés, pour parfaire le tableau, par des petits sacs noirs en forme de poire suspendus au plafond. Tantôt Charlotte les fait se balancer tantôt elle les troue avec la flamme de son briquet pour que s’écoule le sable qu’ils renferment. Le vide n’est plus. La peur a disparu. Charlotte danse.
Le Vif – Estelle Spoto
"Je sais pas comment commencer", "moi j'ai rien à raconter, j'ai pas d'histoire". Du fond du plateau, les paroles arrivent en flux rapide, perturbé, chaotique interrompu par un briquet qui s'allume. La danse se lance alors, accompagnant en saccades les accords de la guitare électrique, repris en loops. Ainsi commence, par une réflexion méta sur le fait de ne pas savoir commencer, A- vide (à lire en un ou deux mots, au choix), où Charly Simon, à la fois danseuse et comédienne, déroule un conte-ritournelle sur son propre parcours de jeune artiste et sur sa vocation. Seule au-devant de la scène, avec en renfort arrière le guitariste Jérôme Paque, qui ne prendra le relais de la parole qu'à un unique moment acoustique, elle évoque plusieurs épisodes de sa jeunesse hennuyère, prime ou plus tardive, pour parler de peur. Peur du vide, peur du noir, peur de la mort.
Poétiquement articulé autour de mots mantras (peut-être un peu trop, au détriment du contenu du récit), le texte se joue et se danse avec et entre quatre petites sphères suspendues qui, par leur balancement de pendules ou leur écoulement de sabliers, disent le temps qui passe. Au détour des phrases, le public est interpellé, convoqué, impliqué dans ces histoires de peur et de vide à combler ou à danser. "Il faudra trouver ton arbre à toi", nous dit Charly Simon à la fin. Un moment doux, en suspension, pour revenir à l'essentiel.